Lettre ouverte à Madame Rachida Dati : Madame Dati, c’est parce que vous êtes ministre, que vous ne pouvez pas dire n’importe quoi

Mercredi 7 mai, dans la matinale de France Inter, Madame Dati, notre ministre de tutelle a franchi un cap. Le cap Nimportenaouak.

Il faut pourtant s’aventurer loin pour parvenir à cette extrémité d’absurdités et de contre-vérités. Pendant vingt minutes, à un rythme de galériens, Rachida Dati a enchainé les fakenews sur le service public. Sans laisser place à la contradiction ni au débat. Bel exercice démocratique.

Venue pour « sauver » le service public, elle lui a asséné, en direct, en conquérante, un gros coup de rame.

Quand elle affirme par exemple que la fusion des entités de l’audiovisuel public : France Télévisions, Radio France et l’INA, s’impose parce que « partout en Europe, il existe une société unique, nous sommes une anomalie », c’est faux.

Le modèle européen n’est pas unique et uniforme :

  • En Allemagne, ARD et ZDF sont deux puissants groupes publics distincts, dotés de financements et de gouvernances séparées.
  • En Belgique, la RTBF et la VRT coexistent sans fusion.
  • Quant à l’Italie, elle a bien une RAI centralisée, mais est-ce réellement un modèle de pluralisme et d’indépendance ?
  • La BBC, elle, bien qu’unifiée, subit aujourd’hui de fortes pressions politiques et des coupes budgétaires.

À moins, bien sûr, que cela soit in fine son but :  faire de l’audiovisuel public un organe de communication, une courroie de transmission, du pouvoir politique. Centralisé, il sera aussi plus « contrôlable », muselé. Futé en ces temps de poussées des extrêmes et des populismes. Mais, surtout, « N’ayez pas peur Madame Salamé »

Madame Dati semble aimer les bijoux de qualité. Pourquoi s’acharne-t-elle à brader ce que la France a de précieux ?  L’audiovisuel public doit rester au service de tous les citoyens, de la démocratie, et de l’intérêt général.

L’intérêt général. Peut-être Madame Dati n’a pas encore bien saisi ce que cette formule recouvre. Elle, qui, supposons, instrumentalise cette réforme pour marquer, d’un coup d’éclat, son mandat.  Et partir, tout auréolée d’un champ de ruines, à la conquête de la mairie de Paris.

Oui, Rachida Dati est en campagne. Déjà maire du très chic 7ᵉ arrondissement de Paris, elle prétend pourtant incarner une parole « populaire ».  Si ses préoccupations étaient réellement celles du plus grand nombre, qu’elle commence par briguer la mairie d’un arrondissement moins favorisé ou d’une ville où les enjeux sociaux sont plus proches du quotidien des Français.  L’exemplarité commence aussi par la cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.

De plus, en accusant France Inter (et partant, l’audiovisuel public en général) de ne parler qu’aux « CSP+ et plus âgés », d’oublier le « maçon » ou les jeunes, propos démagogiques et factuellement faux, Rachida Dati adopte une posture populiste. Une posture caricaturale, où elle se pose encore, en porte-voix bling-bling d’un peuple qu’elle prétend défendre tout en appartenant aux élites qu’elle dénonce.

Un comble. D’autant que nos audiences, elles parlent à tout le monde : elles sont bonnes à France Inter comme à France Télévisions.

Qui trahit finalement le plus le peuple ? L’élue européenne, forte de son mandat populaire, soupçonnée de corruption et de trafic d’influence, qui vient nous donner des leçons de pluralisme et de transparence ? Ou l’audiovisuel public, en manque de financement, balloté de réformes en réformes, qui lui tend le micro pour se faire menacer en direct ?

Pour finir, non, non plus, cette réforme ne commence pas à « faire consensus ». Cette fusion, présentée comme une évidence, est en réalité une menace :

•   Elle menace la diversité éditoriale, en concentrant sous une gouvernance unique des médias aux identités, missions et publics bien distincts. La mise en place d’Ici dans les antennes régionales a d’ores et déjà plombé les audiences. Nos spectateurs n’y comprennent déjà plus rien.

•   Elle menace l’indépendance, déjà affaiblie par la suppression de la redevance, en préparant, nous l’avons dit, un mastodonte plus facilement contrôlable par le pouvoir politique.

•   Elle menace des salariés, aussi citoyens, plongés depuis des mois dans l’incertitude, sans projet clair, sans concertation, et face à des promesses aussi creuses que les arbitrages budgétaires. L’explosion des risques psychosociaux dans notre entreprise en témoigne.

Alors, certes l’indépendance n’a pas de prix, mais elle a un coût. Et l’heure est au choix, budgétaire, déontologique. Indépendance et pluralisme ou dérive arbitraire et populiste ?


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