Liminaire CSE Siège  29 et 30 avril 2025. Ce service public n’appartient ni aux ministres ni aux technocrates, il appartient aux citoyens.

France Télévisions. Avril 2025. La saison hésite encore entre les derniers frissons de l’hiver et la promesse d’un printemps sans lendemain. Dans les couloirs feutrés du service public, un mot, un seul, comme une tache d’encre sur une page blanche : « filiale ». Lâché. Presque à voix basse. Non pas annoncé, non pas expliqué, mais soufflé à la faveur d’un silence organisé. Le mot roule, grossit, résonne, et finit par s’abattre comme un ciel noir sur les épaules de celles et ceux qui, chaque jour, donnent vie à l’information, à la culture, au divertissement commun. Ce mot, tombé du haut des étages, n’a rien d’inoffensif. Il dit la scission, l’éclatement, le morcellement du bien commun.

Les chaînes, les marques, ces visages familiers qui peuplent les foyers français — France 2, France 3, France 4, France 5, tout cela bientôt n’aura plus de nom. Ou plus le même. On parlera de pôles, de marques ombrelles, de structures « rationalisées ». Le vocabulaire des communicants a remplacé celui du sens, et avec lui, le service public se délite. L’air semble plus lourd à mesure qu’avance ce projet dont on ne connaît ni les contours, ni les ambitions réelles, si ce n’est celle, palpable, de gommer l’identité historique de l’audiovisuel public. On ne réforme plus, on efface.

Et pourtant, nulle réunion, nulle consultation. Les salarié·es ne sont ni informé·es, ni considéré·es. Ils et elles apprennent par bribes, par indiscrétions, par un article glissé dans une revue spécialisée. Tout est flou, tout est distant. Dans les étages de la direction, on manie le secret comme une stratégie. On écarte, on contourne, on verrouille. Les corps intermédiaires ? Muselés. Pourtant, ils sont là. Vivants. Présents. Disponibles. Nous, syndicats, n’avons jamais été des obstacles. Nous sommes cette main tendue qui propose, qui éclaire, qui veut comprendre. Mais cette main, on la laisse dans le vide.

À l’Assemblée nationale, la réforme promise devait arriver comme l’aboutissement d’un long processus en sous-marin. Mais elle est repoussée. Enterrée ? Non. Reportée ! Déplacée dans le temps. La ministre de la Culture, elle, Rachida Dati, continue d’avancer, sûre d’elle, dans une posture conquérante. La réforme de l’audiovisuel ? Ce sera son projet, son œuvre. Non pas au service d’un avenir collectif, mais au bénéfice d’une ambition personnelle. La ville de Paris en ligne de mire, la ministre ajuste son tempo. Elle veut poser son empreinte avant la campagne. Faire du service public un trophée.

Et dans cette précipitation électorale, tout le reste devient secondaire. Le fond du projet, sa pertinence, son impact sur les personnels, tout cela est balayé d’un revers de manche. Il ne reste que l’affichage, que le discours en vitrine. On parle de synergies, de simplification, de compétitivité. Des mots vides, usés, que l’on enfile comme des perles pour masquer le vrai : une restructuration profonde opérée sans débat, sans transparence, sans contre-pouvoir.

Le silence organisé devient politique. Il n’est plus seulement une faute, il devient une stratégie. Car consulter, ce serait légitimer ceux qui pourraient dire non, ou au moins « pas comme ça ». La direction verrouille. Le ministère orchestre. Et les salarié·es, eux, voient peu à peu s’installer le doute. Ils devinent plus qu’ils ne savent. L’inquiétude rampe. Elle s’immisce dans les bureaux, entre deux couloirs, dans les rédactions. Ce ne sont plus des interrogations, ce sont des angoisses. Et ces angoisses-là, on les tait dans les communiqués officiels.

La CFDT, dans ce paysage crépusculaire, ne réclame pas des privilèges. Elle réclame de la clarté, du dialogue, de la considération. Elle porte la voix de ceux qui ne sont jamais conviés à la table où tout se décide. Elle ne demande pas la lune, mais le droit de contribuer, de débattre, de construire. Nous rappelons, inlassablement, que le service public n’est pas un terrain de communication, encore moins un marchepied pour ambitions électorales.

Ce service public n’appartient ni aux ministres, ni aux technocrates ! Il appartient aux citoyens. Il est le reflet d’une démocratie exigeante, où l’on éclaire plutôt qu’on endort. Où l’on partage plutôt qu’on segmente. Où l’on pense le long terme, et non le court-terme du prochain scrutin.

Mais pour cela, il faut du courage. Le courage de parler, d’écouter, de faire confiance aux salarié·es. Et non celui, plus facile, de trancher à huis clos. À force de les écarter, on perd leur confiance. À force de les ignorer, on les pousse à douter. À force de mépriser le dialogue, on finit par gouverner seul. Et gouverner seul, c’est gouverner contre.


Télécharger le Pdf